En Haute-Savoie, la drôle de sortie de piste du Funiflaine
Qu'est ce qui est à l'origine de l'embardée du Funiflaine, ce téléphérique prévu depuis trente ans pour, de la vallée, relier la station de ski de Flaine ? L'Ukraine a manifestement bon dos...
Le Funiflaine, tel qu’il a été tracé, a fini sur une voie de garage. Officiellement, c’est la hausse du coût des matières premières et donc la guerre en Ukraine et des taux d’intérêts, conjugués à des délais des procédures administratives qui ont porté le coup fatal, que manifestement les promoteurs du téléporté, équipement appelé depuis trente ans à faire la liaison entre la vallée et la station de ski de Flaine, ont découvert.
Evidemment, le plantage dans les grandes largeurs est un tantinet plus compliqué et plus profond et il pourrait bien coûter très cher au contribuable. Car le Funiflaine, c’est plus de 88 millions d’euros. Sur le papier. En vrai, on est sûrement plus proche des 110 millions.
Un projet largement soutenu, et appuyé, par les collectivités publiques. Donc l’argent du contribuable. Compter 25 millions d’euros pour le Département de Haute-Savoie, 20 millions d’euros pour la Région Auvergne Rhône-Alpes, 4 millions du côté de l’Etat, 4 millions de la communauté de communes. Plus 1,5 million chacun des communes d’Arâches et de Magland. Soit les deux tiers du projet.
A charge pour le délégataire, le groupement constitué de la Compagnie des Alpes (filiale de la Caisse des dépôts et consignations… le bras armé financier de l’Etat), de l’industriel Poma, de la société Autoroute et tunnel du Mont-Blanc (ATMB, également filiale de la Caisse des dépôts) et du Crédit agricole des Savoie de boucler le tour de table à hauteur de 26 millions d’euros.
En juin dernier, le consortium était seul en lice pour répondre à l’appel d’offres. Et pour cause, son principal et quasi-unique concurrent, Doppelmayr, avait jeté l’éponge. Résultat, Poma et consorts s’est retrouvé seul en lice. Risqué comme nous l’explique un acteur du système.
« Il n’ y a que deux groupes au monde pour ainsi dire, Doppelmayr et Poma. On n’a pas le droit de ne pas répondre aux appels d’offre au risque de se prendre une enquête de la répression des fraudes. Alors, on répond car il faut qu’il y ait une concurrence à l’ouverture du marché ».
A Flaine, Doppelmayr n’a pour autant pas répondu. D’après nos informations, la filiale française de l’industriel autrichien digérait mal le fait de devoir abonder entre 25 et 30 millions. Outre le fait qu’il considérait le projet largement sous-évalué au vu de la technologie imposée.
Pourtant, l’idée au départ, remplacer 23 km de route par 5,3 km de liaison câblée, est loin d’être stupide. Elle ferait presque même l’unanimité. « Le projet de partir de la vallée pour aller à Flaine est pertinent mais il y a une somme d’incompétences dans le pilotage du dossier », comme le résume un de nos interlocuteurs bien placé et qui a tenu à garder l’anonymat… « Ils ont donné du grain à moudre à l’association ».
A Flaine, l’association en question, La Flainoise, a saisi la justice non sans dénoncer depuis des années les incohérences, erreurs et le simulacre de concertation. Pour l’heure, et malgré l’annonce du retrait du projet en l’état, les recours sont toujours pendants. Ont-ils joué dans le coup d’arrêt porté à un projet vieux de trente ans ? Officiellement et surtout publiquement, personne n’y fait référence. Mais nul doute que le grain de sable devenait un peu trop gros.
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« Ce projet ressemble à un train fou qu’on ne sait pas arrêter », résume Régis Lardennois, le fer de lance, au sein de l’association, de l’opposition au projet tel qu’il se dessinait. De fait, les incohérences et ratés, sur fond d’annonce qui parait bien précipitée – le contrat de concession a été signé le 11 juin 2021, à dix jours du premier tour des élections départementales – sont légions.
En bas, la gare de départ, à Magland, jouait les fantômes. De fait, les propriétaires des parcelles sur lesquels elle devait être construite n’étaient visiblement pas prêts de céder un pouce de terrain. Embêtant quand on sait que déplacer une gare nécessite de revoir le tracé et donc de reprendre le dossier.
Le reste est à l’avenant. De ratés en dérapages et en gros trous noirs. Les charges d’exploitation par exemple. Pas une mince affaire. Estimées entre 4 et 6 millions d’euros par an selon les avis et estimations, elles étaient parties pour plomber sacrément le projet.
Le tracé, qui évitait la station des Carroz, ses 3 000 habitants et ses 15 000 lits pour desservir le secteur de Pierre-Carrée (pas encore urbanisé) et finir à Flaine (200 habitants à l’année), et qui aurait permis de justifier l’appellation de transport public et pas seulement de desserte ski, pose tout aussi question. D’autant qu’il traverse une zone avalancheuse 1… Risques balayés par Martial Saddier, président du Département de la Haute-Savoie et à la tête du syndicat mixte Funiflaine, à la suite de Christian Monteil.
A l’époque de la signature du contrat de concession, Christian Monteil n’était pas seulement président du Département et président du syndicat mixte. Il officiait également à ATMB. Bref, au four et au moulin, la question des liens d’intérêt est légitime, comme le fait remarquer l’association La Flainoise. « Président du syndicat mixte Funiflaine et membre du conseil d’administration d’ATMB, Christian Monteil a conservé la responsabilité du dépouillement des offres et de la négociation ».
Une consultation réduite au strict minimum comme on a pu le voir (un seul candidat). Avec un cahier des charges pour le moins borné.
« Le candidat doit retenir la technologie 3S ou une technologie équivalente », était-il stipulé. Et, « le Funiflaine doit pouvoir être exploité dans des conditions normales pour une vitesse de vent atteignant 100 km/h ».
Impossible de dévier de ces grandes lignes ? Toujours est-il qu’au final, c’est un 2S, moins cher mais aussi moins performant, moins rapide et moins résistant au vent, que Poma a présenté. Et qui a été finalement retenu. Et tant pis si cela ne correspond pas au cahier des charges de l’appel d’offre…
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