[ Fête des tuiles ] "Je ne sais pas ce que c'est un dossier complet !"
Le procureur de la République de Valence reconnait une enquête lacunaire mais ne requiert pas d'information complémentaire. Il explique sa décision pour L'Eclaireur.
Ce ne sont pas tant les réquisitions du ministère public lors du procès des prévenus dans l’affaire de la Fête des tuiles qui ont fait l’objet de vives critiques. Mais l’enquête judiciaire qui ne permet pas vraiment d’y voir clair dans la chaine de responsabilité. Pour Laurent de Caigny, le procureur de la République de Valence en poste depuis le 1er septembre, avec qui nous avons échangé juste après son réquisitoire le 27 septembre, lacunes il y a. Mais rien qui ne justifie de demander l’ouverture d’une information complémentaire. Décision qui, faut-il le préciser, reste entre les mains du tribunal.
L’Eclaireur Alpes - Dans ce dossier, plusieurs personnes n’ont pas été entendues, ou convoquées à l’audience au risque d’une enquête jugée lacunaire voire bâclée. Pourquoi n’avez-vous pas dans vos réquisitions demandé d’information complémentaire ?
Laurent de Caigny - Je considère que l’on a fait ce que l’on pouvait et on ne l’a pas si mal fait que cela. On est en 2022 et on juge des faits de 2015 et 2016. Je pense que cette audience a eu ce mérite de tout regarder à la loupe. Il y a peut être des choses que l’on aurait pu regarder avant, on les a regardées maintenant. Il y a eu des lacunes, la présidente du tribunal en a fait état parce que ne pas le dire aurait été malhonnête intellectuellement. Mais c’est classique dans le travail des parquets.
Cela fait 25 ans que je présente des dossiers incomplets au tribunal. Je ne sais pas ce que c’est un dossier complet !
Pour ma part, je fais corps. Je ne dis pas c’est la faute de mon prédécesseur. Je pense que je n’aurais pas fait mieux. On fait avec les moyens. Il y a des réformes, comme celle de la police judiciaire en ce moment. Dans ce dossier c’est la police judiciaire qui a été saisie. Est-ce que demain quand elle sera organisée autrement, ce sera fait autrement ?
Après, il y a la question du délai raisonnable. C’est comme “encore une minute, monsieur le bourreau”…
L’Eclaireur Alpes - Il y a quand même de grands absents, Olivier Bertrand, l’adjoint en charge de l’évènementiel, qui est au carrefour voire au centre de ce dossier, M. Lakahl, le directeur à l’époque des affaires juridiques…
Laurent de Caigny - Ils auraient dû être entendus – je ne dis pas qu’ils pourraient être coupables. Mais je ne crois pas à la théorie du complot 1. Les choses s’incarnent dans l’audition et dans des pièces qui la corroborent. Je suis comme Saint Thomas : parce que je vois, je crois. C’est la faiblesse de notre ministère : il faut qu’on voit et non parce qu’on est inspiré.
Après on peut raconter une histoire. On peut la raconter comme l’a raconté l’avocat des six conseillers d’opposition. Une histoire avec un point de vue. Sauf que moi je ne raconte pas d’histoire.
Et puis, on n’en finirait pas. A un moment il faut que justice passe et j’assume la position du parquet de Valence qui a été désigné pour assurer la finalisation du dossier. On y a passé deux jours. On n’est pas loin de l’idéal d’une audience pénale. On est sur un marché à 125 000 euros rapporté à 35 millions d’euros de fonctionnement du budget événementiel ! Si je veux parler en termes d’efficience de la justice…
Ce que j’aimerais, c’est pouvoir faire que ce que je viens de faire là tous les jours de la même manière et pour tout le monde. Puisqu’on parle d’égalité ! La question est de savoir si M. Auclair est plus égal que d’autres pour organiser une “kermesse” (clin d’œil). En matière pénale, j’aimerais que tout le monde ait le droit à ce traitement, et ne pas dire à l’avocat “merci de plaider en dix minutes parce que j’ai encore cinquante dossiers”… Ce sont des enjeux beaucoup plus forts.
Est-ce que ce dossier a amené la mairie à perdre de l’argent ? Je ne crois pas. Même pour ce qui est du recrutement des contractuels (dont des membres de l’association Fusées recrutés et donc payés par la Ville de Grenoble, ndlr), c’est discutable en termes de moralité publique mais pour un procureur, cela ne fait pas la loi.
Je ne suis pas du tout dans cette posture là. Je me méfie des imprécateurs. Cela fait vingt cinq ans que je fais ce métier. Je ne suis pas certain quand vous voyez le trio de juges qui sont des juges un peu aguerris, qui posent des questions techniques, qu’ils attendent d’un procureur qu’il fasse des claquettes devant eux. “Le maire de Grenoble dilapide les deniers publics pour favoriser son ami qui a soutenu sa campagne et dont le fils collait des affiches…”, oui on peut raconter le dossier comme ça. Sauf que ce n’est pas ce que j’ai compris. Sauf que mon métier ce n’est pas de raconter des histoires.
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