[ Flash ] A Grenoble, le plan blanc devient un mode de gestion
L'hôpital psychiatrique est prié de "reprendre" ses patients pour tenter de désengorger les urgences du CHU exsangues. Sans autres solutions...
L’intention est-elle d’arriver à l’épuisement et l’indifférence généralisés ? De la classe politique, c’est en bonne voie puisque l’on ne l’entend guère plus sur le sujet ? Des médias, qui se lassent de plus en plus de reprendre la même antienne, celle d’un système de santé dos au mur et dont on peine à voir comment ils pourrait s’en sortir si ce n’est par une privatisation bien amorcée ? Des patients qui, et il est difficile de leur donner tort, s’emploient d’abord à se faire soigner ?
A Grenoble, les plans blancs se succèdent dans une relative indifférence. Rappelons au préalable que le plan blanc est censé répondre à des situations d’urgence sanitaire graves. Il permet par exemple d’organiser l’accueil et la prise en charge d’un afflux massif de victimes d’un accident, d’une catastrophe, d’une épidémie ou d’un événement meurtrier et durable (un accident nucléaire ou un attentat par exemple).
Aujourd’hui, rien de tout cela. A Grenoble, comme un peu partout en France, le plan blanc est tout simplement devenu le moyen de gestion d’une situation catastrophique parfaitement prévisible et qui va bientôt confiner au train où vont les choses à l’état d’exception ordinaire.
Après le CHU, où en quelques mois on a vu trois patients des urgences décéder faute de prise en charge adéquate, où les représentants du personnel ont, en vain, adressé au procureur de la République de Grenoble, un signalement pour “mise en danger de la vie d’autrui” 1 là où il conviendrait peut-être mieux de parler de négligence aggravée, où les signaux d’alerte se multiplient depuis des années et où les appels à la grève se succèdent (internes, urgences puis l’ensemble du personnel désormais), le principe des dominos et des vases de moins en moins communicants amorcent une réaction en chaine.
C’est ainsi que l’hôpital psychiatrique a été sommé par sa tutelle, l’Agence régionale de santé (ARS), de (re)prendre sa part dans la gestion de l’empilement de malades qui, faute de moyens en psychiatrie, atterrissent aux urgences du CHU.
Le 26 avril, l’ARS lui a donc ordonné d’hospitaliser chez elle, après avis médical, tous les patients pris en charge au CHU, et ce sous 48 heures. Réponse quasi-immédiate du centre hospitalier psychiatrique Alpes-Isère (CHAI) : l’activation à son tour du plan blanc. Car c’est manifestement tout ce qu’il reste aux établissements de santé.
Alertant sur la crise actuelle et le démantèlement de la psychiatrie publique, la conférence des présidents de commissions médicales d’établissement (CME) de Rhône-Alpes Auvergne – en quelque sorte le parlement des praticiens où siègent les représentants élus – pointait en novembre 2021 la grande démission des pouvoirs publics.
“Face à cette situation de catastrophe sanitaire annoncée, nos établissements ne reçoivent aucune directive, aucune recommandation quant à la gestion de cette crise démographique”.
Interpellée par L’Eclaireur quant aux mesures et réorganisations mises en œuvre pour répondre à la saturation des urgences mais aussi de la pédiatrie du CHU de Grenoble, l’Agence régionale de santé Auvergne Rhône-Alpes renvoit aux établissements en question.
A charge pour eux de gérer la pénurie sans guère plus de roues de secours depuis que la loi Rist, encadrant l'emploi des intérimaires et surtout mettant à l’amende les établissements qui ne s’y plieraient pas, a été adoptée. Un peu le coup de grâce en somme.
Résultat, au CHU de Grenoble, 50 % des postes d'urgentistes sont vacants depuis plus d'un an et demi d’après la direction de l’hôpital. A l’hôpital psychiatrique, 38 temps plein de médecins et plus de 15 paramédicaux manquent à l’appel, décompte la CGT.
Alors, pour pouvoir rouvrir des lits (dix dans un premier temps, quinze autres à suivre) et prendre en charge les patients réorientés, les plannings et services sont réorganisés, le personnel réquisitionné, et tant pis si ceux qui restent sont sur les rotules. Un “management de gestion des stocks au détriment d’une approche clinique”, pour la CGT, et qui perdure sans beaucoup d’espoirs de voir les choses changer malgré les incantations du ministre de la santé en juillet 2020 à l’Assemblée nationale.
Olivier Véran qui rappelons-le a été formé et a officié comme neurologue au CHU de Grenoble, s’était alors engagé à “mettre le paquet sur la pédopsychiatrie”. Depuis, le parent pauvre de la psychiatrie, elle-même parent pauvre de la médecine, continue de s’enfoncer, confronté à la désaffection grandissante des médecins et l’augmentation des patients.
Le 21 mars, la Cour des comptes estimait à 1,6 million le nombre d’enfants et adolescents souffrant d’un trouble psychique. “Comme dans les autres pays de l’OCDE, l’épidémie de covid 19 a eu pour effet d’augmenter dans des proportions importantes les troubles psychiques chez les enfants à partir de 10 ans et chez les adolescents”, soulignent les magistrats dans leur rapport.
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Les constats se multiplient. Mais seulement les constats. Parce que du côté des solutions pour y remédier, les moyens mis en œuvre font tout simplement l’inverse. La fin du numérus clausus n’a pour l’instant absolument pas permis d’augmenter le nombre d’étudiants en médecine.
“Le numerus clausus a été supprimé, mais les effectifs d’étudiants demeurent contraints par les capacités d’accueil et les moyens de formation des facultés, , soulignait en 2022 la commission d’enquête sur l’état de l’hôpital en France. “Les effectifs de médecins généralistes devraient encore diminuer entre 2021 et 2026, passant de 95 400 à 92 300, et ne retrouveraient leur niveau actuel qu’au-delà de 2030”.
Quant à la réforme des études, l’interdiction de redoublement et un grand oral aussi expéditif qu'éliminatoire sur la base de questions de culture générale – ce peut être sur l’Ukraine, les loups en France ou TikTok – elle a déjà recalé de nombreux étudiants partis dans le meilleur des cas se former à l’étranger…
“La loi pénale est d’application stricte. Pour qu’il y ait pénalement mise en danger de la vie d’autrui, il faut quatre conditions cumulatives qui ne sont pas réunies en l’espèce : l’existence d’une obligation particulière de prudence ou imposée par la loi ou un règlement, une violation manifestement délibérée de cette obligation de prudence ou de sécurité (par exemple le défaut d’application de la loi ou du règlement en vigueur), l’exposition directe d’une personne au danger avec un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation de sécurité et le dommage, un risque immédiat de mort ou de blessures graves pour autrui. Le signalement reçu dénonce une inaction des pouvoirs publics qui ne justifie pas l’ouverture d’une enquête pénale et me conduit à le classer sans suite ce jour pour absence d’infraction pénale”, avait fait savoir le procureur de Grenoble Eric Vaillant.