[ Flash ] Qualité de l'air : de quelle pollution parle-t-on ?
Vite auréolé vertueux, le biocarburant B100 propulsé par Emmanuel Macron a été sorti du jeu par le Conseil d'Etat. Enfin pas complètement. La qualité de l'air a (encore) bon dos.
Cela en dit long sur les fondements des politiques de la qualité de l’air en France. Alors que la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE), dernier dada en date histoire de laisser à penser que les exécutifs (national comme locaux) entendent bien traquer la moindre particule fine, provoque de nombreuses contestations; alors que les dérogations se multiplient à tour de bras laissant planer comme un doute quant à l’efficacité à venir des dispositifs; une décision du Conseil d’Etat vient illustrer combien l’édifice est bancal et voué à l’échec.
A lire également : Zones faibles émissions : l'écologie pour les nuls
Dans un arrêt rendu ce 25 janvier 2023, la plus haute juridiction administrative a annulé l’arrêté permettant d’attribuer la vignette Crit’Air 1 aux poids-lourds et autocars roulant exclusivement au B100. La vignette Crit’air 1, c’est celle qui permet aux véhicules considérés comme les moins polluants de pouvoir circuler librement au sein des ZFE, et donc partout en France.
Le B100 est un carburant 100 % colza, vanté pour réduire les émissions de CO2 mais qui émet en contrepartie (chose dont il se vante moins) 64 % d’oxydes d’azote de plus que le diesel, comme l’a montré une étude de l’Ademe. Sans parler du fait qu’il grignote des surfaces agricole : les biocarburants mobilisent en France plus des trois quarts de la production de colza (rapport Cour des comptes 2021).
Pas écolo le B100 ? Le Conseil d’Etat se garde bien, renvoyant à l’économie de moyens, de trancher la question. Dans sa décision que nous nous sommes procurée, et rendue suite au recours déposé par les sociétés gazières Primagaz, Providiris et Gaz’up, il s’en tient à une question de pure forme. Il faut dire que l’arrêté du 11 avril 2022, écrit avec les pieds mais qui satisfait pleinement la profession 1, ne s’est guère embarrassé des procédures réglementaires.
Il est passé outre le ministre de l’Intérieur, pourtant compétent sur le sujet, s’en remettant exclusivement au ministre de la Transition écologique et des Transports. Il est aussi passé outre la consultation publique, de plus en plus reléguée au rang d’anecdote.
On se rappellera que l’annonce de l’intégration du B100 dans la classe des véhicules les moins polluants avait été faite le 30 mars 2022 par Emmanuel Macron, alors candidat à sa réélection, dans le cadre d'un grand oral organisé par la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA). En pleine campagne électorale. Pour pousser à la roue, un dispositif permet aux entreprises qui s’y convertiraient de bénéficier d’une déduction fiscale.
La réflexion est-elle allée plus loin que l’expédient électoral ? En 2021, la Cour des comptes avait pourtant alerté, renvoyant dans un rapport consacré au développement des biocarburants la France et l’Europe dos à dos. Et s’inquiétant d’un manque de stratégie et d’une politique publique surtout vouée au développement des biocarburants de première génération, ces agrocarburants produits à partir de cultures destinées traditionnellement à l'alimentation. Ce au détriment des filières de 2e génération, issues de la transformation de matières premières végétales ou de la valorisation de déchets industriels.
“ L’insuffisance de l’effort de recherche et des investissements privés pour les biocarburants avancés est une conséquence de l’incertitude quant à la stratégie française. L’annonce de l’interdiction des véhicules thermiques neufs à partir de 2035 rend d’autant plus nécessaire une clarification de cette stratégie, en anticipant la baisse de consommation de biocarburants conventionnels qui en résultera, ainsi que, par ailleurs, une hausse potentielle des besoins en biocarburants avancés (biojet dans l’aviation)”.
Où en est-on ? Au-delà du peu de clarté, il manque une vision d’ensemble. La question aujourd’hui n’est plus seulement de savoir si le B100 est pertinent quant à son effet sur la qualité de l’air et pas seulement en termes d’émissions de gaz à effet de serre, mais si également, au regard de la crise énergétique et gazière que ne comble pas l’offre de véhicules électriques, les avantages et inconvénients des uns et des autres ne doivent pas être plus sérieusement soupesés. Et pas en petit comité derrière des portes closes.
“L'arrêté, publié avant même le second tour de l'élection présidentielle, n'a fait l'objet d'aucune concertation ni avec les collectivités territoriales ni avec les parties prenantes”, soulignait le sénateur EELV du Bas-Rhin Jacques Fernique dans une question écrite au gouvernement.
L’arrêté avait en tout cas bien fait les affaires de la société Saipol, qui sans plus de détails et d’arguments reportés dans l’arrêt, réclamait de concert avec le ministre de la Transition écologique 2, que la requête en annulation soit rejetée. Saipol, c’est le groupe Avril, agro-industriel français et autoproclamé “acteur majeur de la production de colza”, qui a mis au point son propre B100, l’Oleo100.
Un groupe qui attend beaucoup de son biocarburant. Entre 2015 et 2018, il avait cumulé 133 millions d’euros de pertes. Et prévoyait fin 2019 de fermer des sites de transformation avant de développer et de miser, aidé par la puissance publique, sur Oleo100.
Son président de 2000 à 2017 était un certain Xavier Beulin, le patron de la FNSEA. En avril 2022, le principal syndicat agricole avait été l’une des premières fédérations professionnelles à féliciter Emmanuel Macron pour sa réélection.
La qualité de l’air dans tout ça ? Cela en serait presque anecdotique. Mais est-ce vraiment le sujet ? En France, la moitié du trafic poids lourd est du trafic de transit. Qui donc ne transite pas via les centres des métropoles où s’érigent les ZFE mais empruntent des autoroutes et routes nationales sur lesquelles ne s’appliquent aucune interdiction de circuler , même pour les véhicules les plus polluants…
L’arrêté d’avril 2022 annulé, l’éligibilité du biocarburant B100 à la vignette Crit’air 1 subsiste malgré tout. En octobre 2022, un nouvel arrêté a été pris, dans les clous du Conseil d’Etat lui… (article mis à jour le 26 juin 2024).
“Sa rédaction laisse même l’opportunité de bénéficier de ce classement pour tous les véhicules mis en circulation après le 1er janvier 2014 qui seraient reconditionnés pour fonctionner au B100 exclusif”, soulignait le site d’informations sur le transport routier TRM 24 au printemps 2022.
Au motif tous deux que “les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés”.