[ Analyse ] La Bérézina de Sébastien Lecornu (parole d'expert)
La défaite ukrainienne étant avérée, il s'agit de vite se dégager de toute responsabilité. Ce sont les experts qui se sont trompés.
Sébastien Lecornu, l’homme qui nous tient lieu de ministre des armées, déclare sur LCI, visiblement très mal à l’aise et faisant écho à ses conversations (lesquelles ?) avec son homologue russe Sergeï Choïgu, que le conflit ukrainien trompe beaucoup d’experts. Comprendre “c’est pas ma faute, je n’ai pas eu la bonne information” ou bien “si vous avez raconté n’importe quoi, c’est pas ma responsabilité, moi j’ai toujours su”.
Quelle que soit la manière dont on retourne ces deux propositions : foutaises et billevesées. La communication dénote d’une certaine panique, comme par exemple cette ridicule histoire du camp d’entrainement “secret” (tout le monde sait où il est situé) où l’armée française forme de la chair à canon ukrainienne. Le moment où il va falloir rendre des comptes sur “le pognon de dingue” donné à l’Ukraine en pure perte, à commencer par des vies ukrainiennes, est proche.
On a vu le limogeage au motif qu’il n’avait pas prévu l’invasion russe du général Eric Vidaud, patron de la Direction du renseignement militaire, pourtant un grand soldat blanchi sous le harnois et ancien patron du Commandement des opérations spéciales. Limogeage à notre sens parfaitement injustifié, le général Vidaud ayant servi de fusible aux décideurs politiques. La réalité est bien plus prosaïque : nos capteurs, comme on dit dans les services, n’étaient pas dirigés vers l’Ukraine, preuve s’il en est que ce pays ne représentait - et ne représente - aucun enjeu stratégique pour la France.
Nous, qui ne sommes pas des experts et n’avons pas accès aux informations classifiées dont dispose le ministre, avons dès le 15 février 2022 (soit sept jours avant le déclenchement de l’opération russe) démontré que l’Ukraine, même avec l’aide de l’Otan, ne pouvait pas remporter une guerre face à la Russie. Question de réalité et de Momentum stratégique. Nous nous sommes en revanche trompés quant à l’invasion russe. Nous ne savions pas que les Ukrainiens préparaient une offensive de grande échelle contre le Donbass avec le but ultime de reprendre la Crimée, prévue pour le printemps 2022. Offensive préparée par les Américains, les Anglais et les allemands (facile d’être au courant quand on provoque) que Vladimir Poutine a préemptée.
L’Ukraine ne pouvait gagner cette guerre pour une raison fort simple : personne ne peut apporter de garanties de sécurité à quiconque est confronté à une puissance nucléaire majeure capable de résister à une première frappe, que ce soit la Russie, les USA, la Chine, la France ou l’Angleterre. Parce que cette puissance nucléaire, si ses intérêts vitaux sont menacés, fera l’usage du feu nucléaire. C’est là le fondement de la dissuasion, qui ne se partage pas, dont la conséquence est l’équilibre de la terreur qui seule est source de paix (relative) en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’Union européenne n’y est strictement pour rien.
Et donc, les USA et l’UE ont vainement tenté de faire tomber Vladimir Poutine par des sanctions économiques. Il fallait être complètement fou et déconnecté de la réalité pour croire un seul instant que des sanctions économiques allaient pouvoir mettre à genoux le seul pays au monde qui dispose de toutes les ressources nécessaires (agricoles, énergétiques, matières premières, technologiques) pour vivre en totale autarcie. Pays dont l’économie n’est pas financiarisée, dont l’Etat n’est pas endetté et qui au surplus s’est méticuleusement préparé à ces sanctions depuis 2008. Il fallait posséder une méconnaissance profonde du monde pour croire que les 193 Etats membres de l’Onu allaient suivre l’Occident le doigt sur la couture du pantalon. Il fallait être sérieusement barré pour croire que la Chine laisserait faire sans broncher.
Dès le 5 mars 2022, nous vous exposions pourquoi ces sanctions étaient vouées à l’échec.
Nous avons également affirmé le 8 mars 2022, soit deux semaines après le déclenchement de l’opération spéciale russe, que la fourniture d’armes à l’Ukraine par l’Otan ne changerait rien à l’issue du conflit mais ne ferait qu’allonger sa durée et qu’on verrait rapidement des armes occidentales finir en grande quantité sur le marché noir. D’après certaines de nos sources occidentales particulièrement bien informées, plus d’un tiers des armes portatives (fusils d’assaut, lance-roquettes etc.) ont été détournées. Même chose pour les munitions. C’est donc un gros paquet d’armes qui se baladent dans les limbes et qu’on voit surgir dans la région du lac Tchad en Afrique, en Syrie, en Irak, en Libye, à Gaza et dans les milieux criminels en Europe.
Malgré une grave erreur initiale dans l’évaluation de la volonté de l’Otan à négocier et de l’Ukraine à résister, contrairement à l’Occident, la Russie disposait d’une stratégie puisque l’Ukraine posait une menace existentielle. Dans la dialectique des volontés, elle a su adapter ses voies et moyens pour imposer la sienne – militairement, économiquement, diplomatiquement – tout en ménageant l’avenir, car consciente qu’après le conflit elle allait devoir vivre avec l’Ukraine et avec l’Occident, en particulier avec les pays membres de l’UE. Il est toujours plus difficile de gagner la paix que la guerre. Il importe donc de n’infliger que des dégâts absolument nécessaires. Contrairement à ce que l’Occident a fait en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie…
Les Russes ont poursuivi sans relâche leurs deux objectifs principaux et concrets, à savoir la dénazification du Donbass (accomplie avec la prise de Marioupol) et la démilitarisation/neutralisation de l’Ukraine sans pour autant se confronter directement à l’Otan ni mettre à mal leur économie. Notez qu’on ne compte pas au nombre de ces objectifs un changement de régime à Kiev. Autant dire que les Russes sont en passe de les réaliser puisqu’il n’y aura bientôt plus un homme valide en Ukraine pour tirer un coup de fusil, que les arsenaux de l’Otan sont vides et que l’alliance atlantique ne dispose pas de la capacité industrielle de les reconstituer dans de brefs délais.
Il est fort à craindre que la Russie dictera ses conditions de paix, ayant mis hors jeu les USA, l’UE et l’Otan qui n’auront d’autres choix que les accepter – d’autant qu’un autre conflit chaud-brûlant vient d’émerger au Proche-Orient, les lie pieds et poings. La Russie conservera les territoires qu’elle a décidé d’annexer. Et Vladimir Poutine pourrait bien faire durer le plaisir jusqu’à l’élection présidentielle américaine. D’où l’empressement soudain de Washington et de l’UE à négocier.
Le fait que les Européens se soient eux-mêmes coupés de ressources énergétiques de bonne qualité et bon marché dont ils ne peuvent se passer et que les Américains aient très probablement saboté Nordstream (un acte de guerre commis contre des alliés) agit comme un démultiplicateur stratégique.
Résultat des courses : on essaie de nous forcer à accepter dans l’UE un pays mafieux, en ruine et dans les faits dirigé par des nazis. Pas demain la veille. Jean-Dominique Giuliani, le président de la fondation Schuman – à qui nous conseillons de faire ce que fit cette chiffe molle de Robert Schuman durant toute l’Occupation, prier – ose asséner que l’intégration de l’Ukraine à la “vieille Europe” lui donnera un coup de jeune alors que tous les jeunes Ukrainiens sont morts, estropiés ou ont déjà émigré. L’UE et l’Otan sont en état de mort cérébrale. Il va falloir les débrancher et trouver autre chose.
Si on élargit encore la focale, la catastrophe ukrainienne à laquelle est venue s’ajouter la guerre Israël-Hamas a pour résultat que les USA sont aujourd’hui dans l’incapacité de contenir Pékin en mer de Chine et dans “l’Indo-Pacifique”. Washington n’en a tout simplement pas les moyens, tant militaires qu’économiques. Définition même d’une défaite stratégique.
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Sébastien Lecornu, c’est cet élu local Les Républicains (ancien président du conseil départemental de l’Eure) qui, ayant rejoint Emmanuel Macron en 2017, s’est empressé de se faire nommer colonel de réserve de gendarmerie une fois acquis son poste de secrétaire d’Etat sous Nicolas Hulot puis François de Rugy. M. Lecornu fut ensuite nommé secrétaire d’Etat aux collectivités territoriales sous Jacqueline Gourault puis ministre des Outre-mer, où l’on a pu constater sa capacité à comprendre et à aider nos concitoyens ultramarins durant la Covid en leur envoyant le GIGN puis en proposant l’autonomie de la Guadeloupe. Aucune expérience internationale, aucune expérience des affaires stratégiques et de défense, maîtrise de l’anglais approximative : l’homme idéal pour succéder à la comptable Florence Parly à la tête du ministère des armées.
Nous comprenons le désarroi de M. Lecornu si “les experts” ne lui donnent pas les bonnes analyses. Il n’est pas équipé pour tenir son maroquin. Mais voilà, les analystes de la DGSE, de la DRM et de son ministère sont d’excellents professionnels, dont la compétence est reconnue mondialement.
Si nous, sur la base de sources ouvertes, avons été capables de prédire l’issue du conflit ukrainien, que croyez-vous donc que nos services de renseignements ont consigné dans leurs notes et exprimé lors de leurs briefings ? Il est inconcevable que M. Lecornu n’ait pas disposé à chaque instant d’évaluations factuelles et réalistes de la situation stratégique et sur le champ de bataille.
Soyons clairs : ce sont les décideurs politiques qui posent problème et la nomination de M. Lecornu au ministère des armées n’est que l’illustration du vide qu’Emmanuel Macron a créé selon la maxime “plutôt quelqu’un de soumis que quelqu’un de compétent susceptible de ruer dans les brancards.”
Quand l’écrasante majorité des ministres y compris la première ne sont que des technocrates parisiens (Elisabeth Borne, Bruno Le Maire), des assistants parlementaires et des tireurs de chasse de cabinet (Sébastien Lecornu, Gabriel Attal, Aurélien Rousseau), des politiciens de seconde zone (Gérald Darmanin, Olivier Véran) ou bien de simples mondains parisiens (Olivia Grégoire, Rima Abdul Malak), comment voulez-vous qu’il ne survienne pas catastrophe sur catastrophe ?
Ces gens ont fait carrière en paraissant, non en agissant. Quand on considère le renseignement que comme le moyen de justifier des décisions déjà prises et avec une telle arrogance que rien ne peut venir éclairer son raisonnement à part les coups de fils et SMS échangés avec des homologues étrangers ou bien les conversations informelles qui relèvent de la diplomatie de club lors des incessant raouts internationaux qui ont remplacé la vraie diplomatie, ça se passe mal. En clair, la France est gouvernée par des majordomes.
Un appareil d’Etat dirigé par des incompétents dans l’incapacité de faire prendre à ces incompétents les bonnes décisions dans l’intérêt national, n’est-ce pas la définition d’un Etat failli ?