L'Eclaireur - La lettre confidentielle des Alpes
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Col. Douglas Macgregor : "Nous devons regarder la réalité en face, sinon les Etats-Unis comme nation n'existeront plus "
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Col. Douglas Macgregor : "Nous devons regarder la réalité en face, sinon les Etats-Unis comme nation n'existeront plus "

Ukraine, Proche-Orient, impasse mexicaine au Texas : bascule de l'Occident dans une crise existentielle, risques de conflits civils et de guerre régionale, voire mondiale ?
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Le colonel Douglas Macgregor est diplômé de West Point et titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’université de Virginie. Il a commandé et remporté en 1991 en Irak la dernière grande bataille de chars qu’a livré l’armée américaine, la bataille de 73 Easting.

Durant ses 28 années de carrière militaire, le colonel Douglas Macgregor a notamment été chef de la planification stratégique et du centre d’opération interarmes du commandement suprême de l’Otan durant l’intervention de 1999 au Kosovo. Il fut également le conseiller du secrétaire à la Défense par intérim Chris Miller.

Douglas Macgregor est un spécialiste de la “configuration des forces”. Les deux livres qu’il a écrits sur le sujet Breaking the Phalanx (Praeger, 1997) et Transformation under Fire (Praeger, 2003), font autorité sur le sujet. Son dernier ouvrage, Margin of Victory: Five Battles that Changed the Face of Modern War est disponible chez Naval Institute Press.

Il est aujourd’hui le Président de Our Contry Our Choice.

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L’Eclaireur : Bonjour colonel Macgregor, merci de prendre pris le temps de nous parler à nouveau. Nous avons eu le plaisir le 27 janvier dernier de voir l'amiral John Kirby (porte-parole du Conseil national de la sécurité américain, ndlr) à la télévision française et il a fait deux déclarations... Pourquoi riez-vous ?

Col. Douglas Macgregor : (rires) Eh bien, c'est un maître de la fiction. Malheureusement, il n’a pas le talent de Victor Hugo !

L'Eclaireur : Il a fait deux déclarations sur lesquelles j'aimerais que vous réagissiez. La première est que la Russie va probablement attaquer l’Otan.

Col. Douglas Macgregor : C'est absurde. Il le sait. Mais il n’a aucune difficulté à proférer des âneris. Il est bien payé pour cela en tant qu'employé du gouvernement américain.

Les élites mondialistes qui gouvernent votre pays, mon pays, ainsi que la majeure partie de l’Europe du Nord, de l’Ouest et du Sud, sont en grande difficulté. Elles ont causé un énorme désastre en Ukraine. La Russie, lorsque la guerre a commencé, ne s’attendait pas à se heurter ni à la taille et à la résistance de l’armée ukrainienne, ni à la réticence générale de l’Occident à négocier.​

Les Russes nous ont prévenu vingt ans durant que l’élargissement de l’Otan jusqu’aux frontières de leur pays était inacceptable, mais nous avons choisi de l’ignorer. Pire encore, une fois que nous eûmes installé à Kiev un régime fantoche, nous avons commencé à investir d'énormes quantités d'argent, d'armes et d’équipements pour créer une armée ukrainienne agressive dans une zone où nous avions prévu à long terme de déployer des missiles pointés sur la Russie.

En conséquence, les Russes n’ont eu d’autre choix que d’intervenir. Puis ils ont découvert qu’ils étaient confrontés à quelque chose de beaucoup plus difficile qu’ils ne l’avaient prévu. Alors, ils ont reculé. Ils ont commencé à renforcer leurs armées et à en rééquiper une grande partie.

Le résultat fut une défense magistrale, une défense stratégique de la plupart des zones historiquement russes et peuplées de Russes. Les Ukrainiens ont lamentablement échoué. Leurs offensives ont tourné en eau de boudin.

Nous voici maintenant bien des mois plus tard, deux ans en fait. Cinq cent mille soldats ukrainiens sont morts, probablement autant ont été grièvement blessés, beaucoup ne reprendront jamais le service actif. C'est ce qu'a déclaré l'ancien procureur général d'Ukraine il y a une dizaine de jours à la télévision ukrainienne. Il a exhorté son gouvernement à dire la vérité au peuple ukrainien.

Parce que ce gouvernement, qui continue d'insister sur la nécessité de mobiliser davantage, n’a pas conscience des pertes subies dit-il, Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Mes sources me disent que le drame qu’est cette guerre et ses conséquences sont réellement ressentis par la population. Mais elle n’a aucun moyen de se défendre contre Zelensky ni aucune possibilité immédiate de le remplacer.

Kirby se trompe dans les grandes largeurs parce que les Russes, s’ils le voulaient, pourraient encore renforcer leurs troupes et marcher à un rythme très rapide vers l’ouest. Mais ce n’est pas dans leurs intentions. Il n’y a donc aucune menace de la part de la Russie, qui n’a aucun intérêt à pousser plus à l’Ouest. Après leur expérience sanglante en Ukraine à l’Est, pourquoi les Russes voudraient-ils annexer l’Ukraine de l’Ouest ? Les Ukrainiens de l’Ouest ont toujours été incurablement pro-allemands et violemment anti-russes – et très violemment anti-soviétiques.

L’amiral Kirby le sait. Il n’y a pas d’armée russe au Sud de Saint Pétersbourg prête à fondre sur les États baltes. Pas plus que sur la Finlande et la Suède. L’idée selon laquelle il existe une menace russe imminente est donc une pure absurdité.

Mais ceux qui sont sur le point de perdre le pouvoir – à Washington et dans la plupart des capitales européennes – brandissent cette menace dans l'espoir de susciter la peur au sein de leur population. Et par la peur, ils espèrent se maintenir au pouvoir. Je ne pense pas que cela fonctionnera, même si, il est vrai, cela connaît un certain succès en Suède et en Finlande et, dans une moindre mesure, en Allemagne.

J'espère que vous les Français serez plus intelligents.

L’Eclaireur: Comment voyez-vous le futur de l’Otan ?

Col. Macgregor : Elle n’en a pas. Je pense que l’Otan repose sur des bases très, très fragiles. La raison d’être de l’Otan était de protéger l’Occident de l’Union soviétique. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, il n’y avait aucune véritable raison pour que l’Otan perdure.

Lorsque je suis arrivé à son quartier général (au milieu des années 1990, ndlr), nous nous sommes tous assis autour d’une table et nous nous sommes interrogé sur la raison d’êtred e l’alliance atlantique. Pratiquement tous les Européens et la plupart d’entre nous Américains étions d’accord sur le fait que le rôle principal de l’Otan était désormais d’empêcher qu’une nouvelle guerre n’éclate sur le sol européen.

Cela semble incroyable aujourd'hui, si l'on considère ce qui s'est passé par la suite dans les Balkans avec la campagne aérienne contre la Serbie (en 1999, ndlr) et ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine.

Il semble que l’Otan soit devenue un instrument offensif destiné à agresser les peuples que les élites mondiales n’aiment pas, en particulier ceux désignés par Washington et Londres .

L’Eclaireur : La Commission européenne vient de voter un plan d'aide de 55 milliards de dollars à l'Ukraine. Quel est votre sentiment ?

Col. Macgregor : Etant donné le triste état des économies de l’Union européenne, je serais furieux. Je veux dire, envoyer de l’argent à ce gouvernement de Kiev, c’est le donner à la mafia. Des milliards et des milliards et des milliards de dollars d’euros ont été détournés. De diverses manières.

Une partie de l'argent a été empochée, puis évacuée hors du pays vers des comptes bancaires à Chypre, en Albanie, peut-être même en Suisse… De grandes quantités de matériel ne sont jamais parvenues aux troupes sur la ligne de front. Tout cela a ensuite été revendu avec de gros bénéfices dans les différents marchés noirs de l'Ouest de l'Ukraine, de Moldavie, de Roumanie et du Kosovo.

Bon nombre de ces armes sont aujourd’hui dans les mains des cartels de la drogue mexicains. Ils possèdent des missiles Javelin (missile antitank portatif, ndlr). C’est tout simplement catastrophique pour nous. Nous nous prenons un un gros retour de flamme.

L’Eclaireur : La deuxième déclaration de l’amiral Kirby est que les États-Unis, ou du moins l’administration Biden, faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour empêcher l’Iran de participer au conflit actuel à Gaza et de développer l’arme nucléaire.

Col. Douglas Macgregor : Les Iraniens ont eu de nombreuses occasions de d’obtenir une arme nucléaire, puis de la déployer. En d’autres termes, une ogive nucléaire sur un missile d’une portée située entre 1500 et 2500 kilomètres. Ils ne l'ont pas fait. Ils sont allés jusqu'au seuil mais ne l’ont jamais dépassé.

Le gouvernement iranien a déclaré qu'il ne voulait pas d'armes nucléaires. Je le crois. Le problème est que maintenant, face au risque de subir une frappe nucléaire Israélienne et potentiellement américaine, ils doivent se préparer. Ils pourraient ressentir le besoin d’une dissuasion nucléaire. Et je ne vois pas comment nous pourrions les empêcher de l’acquérir. Vous pouvez bombarder tout votre saoul, vous n'allez pas obérer définitivement cette capacité de développement s'ils la décident. Pour ma part, je chercherais d'autres moyens de convaincre les Iraniens.

Les Turcs se trouvent dans une situation similaire, mais ils bénéficient de bonnes relations avec le Pakistan. Les Pakistanais ont clairement indiqué depuis de nombreuses années ainsi que très récemment qu'ils fourniraient une tête nucléaire à la Turquie si elle en avait besoin.

Israël joue avec le feu. La chose la plus intelligente que nous puissions faire est de maîtriser les Israéliens. Nous sommes censés être leurs amis. Si nous sommes leurs amis, il est dans notre intérêt de les calmer. Car si nous continuons sur la voie actuelle, nous nous dirigeons vers une guerre régionale majeure. Pratiquement tous les pays musulmans seront impliqués. Je ne vois pas comment les israéliens pourraient la gagner. S’ils ont recours au feu nucléaire, ce sera marquera la fin d'Israël aux yeux du système international et du monde, à jamais.

L’Eclaireur : Ne pensez-vous pas qu’Israël essaie d’entraîner les États-Unis dans cette guerre et que la situation politique actuelle aux États-Unis pourrait pousser l’administration Biden à s’y engager ?

Col. Douglas Macgregor : Il ‘n’y a aucun doute à ce sujet. Tous ceux qui prendront la peine de regarder les nombreuses vidéos qu’on trouve sur YouTube pourront voir M. Netanyahu il y a plus de dix ans affirmer à la Chambre et au Sénat son désir que nous lancions une guerre préventive contre l'Iran afin, je cite “de l'empêcher de développer l'arme nucléaire”.

Ce n’était pas le seul Etat qu’il voulait que nous détruisions de manière préventive. L’autre était, bien sûr, l’Irak, dont il prétendait aussi qu’il essayait d’obtenir l’arme nucléaire. Des absurdités.

Lorsque nous avons envahi l’Irak en 2003, nous n’avons trouvé aucune preuve de cela. Une fois encore, les Iraniens, s’ils on tenté d’acquérir l’arme nucléaire, y ont pour le moment renoncé. Ce qui me préoccupe, c’est qu’à ce stade, face à l’agressivité d’Israël, ils pourraient être enclins à le faire.

Si Israël se comporte comme elle le fait actuellement à Gaza et en Cisjordanie, avec un mépris total pour ce que pense quiconque dans la région et de ce que pense le reste du monde, c’est parce qu'elle est confiante, et avec raison ajouterai-je , qu'elle a le pouvoir d’entraîner les Etats-Unis dans sa guerre. Or nous ne sommes pas prêts pour une guerre régionale, nulle part.

L'Éclaireur: Pensez-vous qu’Israël peut gagner à Gaza ?

Col. Douglas Macgregor : Jusqu’à présent, elle a démontré qu’elle ne le pouvait pas. Je pense que c'est assez clair. Les Israéliens ont retiré la plupart de leurs forces terrestres de la bande de Gaza. L’armée israélienne procède à des incursions. Les zones qu’elle prétendait avoir conquises ont été réoccupées dans de nombreux cas par le Hamas.

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