L'Eclaireur - La Lettre des Alpes
Le Coup de projecteur de L'Eclaireur
"Le carcan européen trouve son origine dans l'imbrication du grand capital français et allemand"
0:00
Heure actuelle: 0:00 / Temps total: -1:46:11
-1:46:11

"Le carcan européen trouve son origine dans l'imbrication du grand capital français et allemand"

Annie Lacroix-Riz révèle ce temps long qui a mené, de 1918 à 1940, vers la défaite et, qui sait ?, la France et l'Europe où elles sont aujourd'hui.
Annie Lacroix-Riz : pour en finir avec le mythe de l’« aide » américaine
Annie Lacroix-Riz

Annie Lacroix-Riz est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris VII. Spécialiste, notamment, des élites françaises dans la première moitié du XXe siècle et de leur rôle dans la politique intérieure et extérieure de la France, elle a nous accordé cet entretien en deux parties (la seconde sera publiée en mai) à l’occasion de la réédition augmentée en livre de poche chez Dunod de sa séminale somme “Le Choix de la défaite - Les élites françaises dans les années 1930”, disponible ce 24 avril.

Le choix de la défaite


Marc Bloch, l’historien auteur de L’étrange défaite, résistant torturé et exécuté par la Gestapo le 16 juin 1944, écrivait en avril de la même année:

“Le jour viendra […] et peut-être bientôt où il sera possible de faire la lumière sur les intrigues menées chez nous de 1933 à 1939 en faveur de l’Axe Rome-Berlin pour lui livrer la domination de l’Europe en détruisant de nos propres mains tout l’édifice de nos alliances et de nos amitiés.”

Annie Lacroix-Riz démontre dans cet ouvrage que le choix de la défaite fut en réalité fait par les élites françaises au début des années 1920 et qu’il ne s’agit ni de géopolitique, ni de grande stratégie mais de gros sous. “Le haut patronat a sacrifié les Français à une réforme de l’Etat inspirée de ses voisins fascistes”, lit-on dans la notice de l’éditeur. Voisins fascistes – Italie, Allemagne, Espagne – où l’ensemble de la société était soumise au pouvoir total de l’Etat et des corporations, des marchés. Toute ressemblance avec la situation actuelle n’est que fortuite.

Annie Lacroix-Riz procède à cette démonstration sur la base d’un immense travail d’analyse d’archives, françaises comme étrangères. Pas vraiment la besogne d’historien tel qu’il semble convenir de l’accomplir aujourd’hui dans certains instituts, où le mondain et la seconde main tirent la bourre aux entretiens et autres colloques (soyons méchants, du Françoise Chandernagor sans le style et la distraction), en évitant soigneusement de ne pas agacer ses allergies à la poussière des archives, qui ont la qualité de ne pas mentir – contrairement aux “grands témoins” qui cherchent avant tout à paraître sous une lumière flatteuse.

L'Eclaireur est une confidentielle par abonnement. Pour soutenir notre travail, choisissez le vôtre, libre ou payant.

Alors que nombreux sont ceux qui tentent de faire une analogie entre notre époque et les années 1930 pour des raisons bassement électorales (cela fait quarante ans qu’ils le font faute d’autre argument), dans ce premier entretien enregistré le 23 avril 2024, Annie Lacroix-Riz expose le temps long, celui qui explique l’origine de l’actuel carcan européen par l’imbrication du grand capital français avec son homologue allemand avant la Première Guerre mondiale, conflit dont la fin marqua l’avènement de l’impérialisme américain en Europe. Temps long dont la défaite française de 1940 ne fut pas une césure ou un pivot, même si un traumatisme, mais un événement majeur dans une continuité matériellement logique.

Elle pointe avec l’exemple de la Tchécoslovaquie, dont la création résulta de la victoire française et du démembrement de l’empire austro-hongrois qui s’en suivit, que l’esprit de Munich parmi l’élite française ne date pas de 1938 mais de 1924 et du plan Dawes, qui rééchelonna le montant des réparations dues par l'Allemagne au titre du traité de Versailles. C’est à ce moment là que le grand capital français a décidé dans les faits du démembrement de la Tchécoslovaquie pour sauvegarder ses intérêts conjoints au grand capital allemand, y compris par des accords commerciaux secrets passés au nez et à la barbe de l’Etat même si le renseignement français était au fait de tout.

Le rôle de l’Allemagne et du Vatican en Ukraine, qui ne fut jamais qu’une zone de crises attisées par les appétits de toutes les puissances impérialistes, permet de mieux comprendre un siècle après l’actuelle guerre. Tout comme l’intention d’arracher l’Ukraine à la Russie afin de la faire s’effondrer, parce que la Russie était et reste une immense caverne d’Ali Baba.

Ce premier entretien est long, près de deux heures. Nous vous encourageons à l’écouter dans son intégralité. Annie Lacroix-Riz éclaire de la flamme de l’histoire – une lumière non pas crue mais précise, détaillée, sans grain ni contre-jour ou ombre d’artifice – ce qui nous a peut être mené où nous sommes aujourd’hui. Difficile de savoir où l’on va si l’on ne sait pas d’où l’on vient.


Parmi la bibliographie d’Annie Lacroix-Riz, nous vous conseillons les ouvrages ci-après. Ils peuvent être commandés directement sur le site de l’éditeur, Dunod, ou encore mieux, chez votre libraire.

Les Origines du plan Marshall

Non, le plan Marshall n’a jamais eu pour objet d’aider qui que ce soit mais d’assoir la domination américaine en Europe d'abord par l’économie (donc par une bonne dose de corruption).

La non-épuration en France

Cette photo de Maurice Papon faisant le baise-main à une Simone Veil souriante dit tout. La France ne fut jamais épurée, et certainement pas des collaborateurs économiques. Quant à l’épuration sauvage, c’est plutôt un mythe car un arrêt aux débordements bien réels fut imposé deux à trois mois après le débarquement de Normandie.

Le Vatican, l'Europe et le Reich

Très, très compliqué est tout ce qui touche au Vatican. N’ayant jamais aimé sa fille aînée la France – qui le lui a toujours bien rendu – et vouant une détestation à la Pologne, les enfants chéris du Vatican furent et restent encore à ce jour les empires centraux, comprendre l’empire austro-hongrois d’abord puis l’Allemagne, en sus les Etats-Unis. Le jeu trouble de la cité papale s’est poursuivi bien après la Seconde Guerre mondiale et continue encore.


Vous pouvez également retrouver ce podcast sur Spotify

Musique © Pascal Clérotte 2021-2024

Discussion à propos de ce podcast