STMicro-GlobalFoundries : une concertation... allégée
La volonté d'accélérer l'instruction du projet industriel en allégeant la concertation interroge sur les ressorts d'un dossier très politique, manifestement conduit depuis l'Elysée et Bruxelles.
Retour à la case départ pour STMicroelectronics. En Isère, le groupe franco-italien de droit néerlandais, qui a en projet d’agrandir son usine et de doubler la production de plaquettes 300 mm en partenariat avec l’américain GlobalFoundries, va devoir pour obtenir le feu vert du préfet, coup d’envoi au projet 1, reprendre le processus réglementaire à zéro. Et passer par la case, obligatoire, de la concertation avec le public eu égard à son impact sur l’environnement. Étape que l’industriel avait zappé comme L’Eclaireur vous l’avait rapporté. Ce qui après quoi impose de remettre le dossier à l’enquête publique.
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Rebelote donc. Sauf que la reprise de la procédure imposée par le réveil un peu tardif de la Commission nationale de débat public (CNDP) – le maitre d’ouvrage à qui cela incombe ne l’avait pas saisi – se fait de manière plutôt légère.
La lettre de mission de la CNDP exige que la consultation réponde à quelques questions : à quels besoins le projet industriel répond-il ? Quelles sont les alternatives possibles ? Quels sont les impacts environnementaux et notamment sur la ressource en eau ? Mais également de mettre en place un atelier dédié aux effets cumulés, notamment avec l’usine voisine de Soitec qui a elle aussi un projet d’extension.
La question, aussi centrale que sensible - et pour le moins opaque - de l’impact du projet sur la ressource en eau, comme l’avaient relevé l’autorité environnementale mais aussi la commission d’enquête, sera bien traitée à regarder le calendrier de la concertation. Une première fois dans le cadre d’une réunion-atelier avec les acteurs du territoire : deux heures pour parler de l’eau mais aussi de l’emploi, des mobilités, du logement, de l’énergie, etc. Une seconde fois dans le cadre d’une web-conférence (“Echanges, témoignages, partages d'idées sur le thème de l'eau”)…
Mais la question des effets cumulés, notamment avec Soitec, est passée à la trappe alors que là aussi, ce point passablement lacunaire avait été souligné par l’autorité environnementale et la commission d’enquête.
Manque de temps ? Une concertation préalable est prévue pour s’étaler sur une période allant de quinze jours à trois mois. Pour ce projet de gigafactory, ce sera un mois, du 22 mars au 19 avril. C’est plus que les trois semaines initialement prévues mais moins que pour d’autres projets semble-t-il moins compliqués et surtout moins lacunaires.
A Fos-sur-Mer, Carbon, le projet de giga-usine de panneaux photovoltaïques s’est appuyé sur une concertation de sept semaines. A Amiens, la concertation sur le projet de construction d’une ligne électrique aérienne à très haute tension a, moyennant l’organisation de 18 rencontres, duré deux mois.
Néanmoins, STMicro a toutefois trouvé le temps de caler deux temps. (sur les neuf) pour répondre à ses propres besoins – l’usine peine à trouver suffisamment de techniciens – au travers de rencontres avec des collégiens et des lycéens.
Certes, le dossier ne se résume pas à la ressource en eau. Mais l’enjeu socio-économique et d’aménagement du territoire en termes de transport ou de foncier, n’a pas non plus beaucoup été prospecté. Comment comprendre que l’industriel n’ait consulté pour constituer son dossier aucune des parties prenantes, ce que l’on appelle les '“personnes publiques associées”: pas plus la chambre de commerce et d’industrie que la chambre d’agriculture, la Métropole de Grenoble, le Département de l’Isère, ou la Région ?
Comment analyser cette “précipitation”, à passer outre la concertation avec, d’après nos informations, le quitus du préfet au risque de perdre un an dans l’instruction du dossier 2 ? L’assurance que la CNDP n’allait rien dire puisque à plusieurs reprises – sur le Center parcs ou l’élargissement de l’A 480 pour ne citer que ces exemples dans le département – la commission a été court-circuitée et n’a pas bronché ?
De fait, le chemin semblait plus ou moins balisé : en 2023, c’est Marc Papinutti qui a pris la succession deChantal Jouanno à la tête de la CNDP. On se rappelle que l’ex-sénatrice n'avait pas hésité à critiquer le gouvernement, notamment lors du débat sur la relance du nucléaire.
Avec Marc Papinutti, c’était l’assurance de plus de retenue. Ce proche d’Emmanuel Macron a été le directeur de cabinet d’Elisabeth Borne au ministère des transports et de Christophe Béchu au ministère de la transition écologique. Après avoir échoué à prendre la tête de l’Autorité de régulation des transports (ART) en raison de trop gros risques de conflits d’intérêt, sa nomination à la tête de la CNDP avait été passablement contestée.
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La concertation menée, le bilan sera joint à l’enquête publique. Une nouvelle enquête publique. Rien qui devrait bouleverser un projet qui avait obtenu l’avis favorable avec réserves de la commission d’enquête.
Reste à comprendre le pourquoi de tels raccourcis. Simple désinvolture et mépris vis à vis d’une instance qu’Emmanuel Macron rangeait en 2019 au rayon des “organismes inutiles” avec l’idée de la diluer au sein du Conseil économique, social et environnemental dont elle n’aurait été qu’une chambre? Vraisemblablement.
Le projet a quant à lui pris un an de retard. Et rien ne dit à ce jour que le partenaire de STMicro poussé par Thierry Breton, l’américain GlobalFoundries, concrétisera son investissement annoncé il y a deux ans comme L’Eclaireur le rapportait. Un partenariat qui avait permis, via le programme France 2030, de promettre 2,9 milliards d’argent public. Ça tomberait presque bien : le plan d’investissements de 54 milliards d’euros est menacé de coupes budgétaires…
Nonobstant que le projet d’agrandissement, Gateway, avait déjà commencé avec la construction des premiers bâtiments et à en croire Bruno Le Maire (en juin 2023) le lancement de la production.
Contactés à ce sujet, les services de la préfecture n’ont pas répondu à cette question, mais renvoyés vers STMicro. Qui n’a pas plus répondu.