[ Analyse ] Délinquance en col blanc comme l'agneau qui vient de naître (1ere partie)
Un rapport datant de 2020 resté jusqu'alors secret et publié par Mediapart expose le manque de volonté politique de lutter contre un fléau peut-être pire que le trafic de drogues.
République, affairisme et corruption, une vieille histoire… Du krach de l’Union générale aux affaires Areva et Alstom, en passant par l’affaire Staviski, le scandale des piastres, Carrefour du développement, Péchiney - Triangle, les lycées d’Île-de-France, le Crédit lyonnais etc. Après tout, l’argent public, c’est l’argent de tout le monde, donc de personne. Et plaie d’argent n’étant pas mortelle…
Nous vous conseillons de revoir cette série du très regretté Pierre Péan, dont le troisième et dernier épisode est ci-après.
Mediapart a publié un rapport de l’Inspection des finances, de l’Inspection générale de l’administration et de l’Inspection générale de la justice (rien que ça !) daté de 2020 et tenu secret, qui peint un tableau inquiétant quant à la lutte contre la criminalité en col blanc. Criminalité qui ne se limite par ailleurs pas à la seule manipulation délictueuse de l’argent public, pléthorique. Ce rapport est téléchargeable ici.
Salutaire par le constat qu’il pose, il prend en revanche l’ombre pour la proie. Il manquerait une “stratégie” pour lutter contre la criminalité économique et financière.
La dernière fois que nous avons regardé - c’est à dire là, maintenant, puisque nous avons enquêté et enquêtons toujours sur des affaires telles que la Fête des tuiles, le “groupe” Avec, Alpexpo, la commune d’Albiez et SSIT, le dossier de l’Alpe d’Huez, des Deux Alpes et de la Sata, le Métrocâble etc. - le code pénal français est pourtant bien rédigé quant à la répression des malversations en tout genre et autre infractions relevant de la corruption publique comme privée.
Et les institutions de contrôle, à commencer par le fisc, les organismes de collecte (URSSAF), les douanes, les chambres régionales des comptes (qui abattent un travail aussi phénoménal que de très haute tenue technique), fonctionnent bien.
Nous ne mentionnerons en revanche pas les grands corps d’Etat, des organisations aujourd’hui quasi-mafieuses dont la réalité est exposée par Paul-Antoine Martin dans son livre “Le clan des seigneurs - Immersion dans la caste d'Etat”. Jadis ayant accompli de grandes choses le sens de l’Etat chevillé au corps, ils sont aujourd’hui les acteurs principaux de la kakistocratie (du grec κάκιστος, kakistos : le pire. La kakistocratie est le gouvernement des médiocres). L’écrasante majorité du personnel politique et la quasi-totalité de la haute fonction publique étant issues de ces grands corps, font-ils partie du problème?
Il n’y a pas de pays en Europe où le flicage fiscal est aussi efficace qu’en France. Il n’y a que peu de pays qui peuvent s’enorgueillir d’avoir des services de renseignement aussi bons que Tracfin et la DGSE pour traquer les transactions douteuses – que ce soit le blanchissement et le noircissement d’argent, le financement du terrorisme, de la corruption ou de l’ingérence étrangère (la première desquelles étant américaine. Puis allemande. Avant la russe, la chinoise, l’azerbaïdjanaise, la marocaine, l’algérienne, la libanaise etc.). Le député insoumis Carlos Milongo en a fait l’expérience, puisqu’il est visé par une enquête préliminaire du Parquet national financier pour blanchiment de fraude fiscale suite à un signalement de Tracfin.
Nous faisons même des envieux à l’étranger : un de nos contacts, aujourd’hui avocat et ancien agent du FBI passé par le trésor américain, ne se lasse pas de s’extasier sur la cohérence de notre droit. Il a en revanche plus de mal à saisir la notion de verrou de Bercy. Et regrette que nous ne disposions pas d’une loi de type RICO (Racketeer Influenced and Corrrupt Organization Act).
La loi RICO, promulguée par Richard Nixon en 1970, est intéressante à plus d’un titre. Tout d’abord parce qu’elle réprime non pas des infractions individuelles mais des comportements et des organisations qui mènent à ce que des infractions soient commisses de manière répétée, ou bien dont la raison d’être est la commission d’infraction et la dissimulation de leur produit. Elle se fonde sur la notion d’entreprise, c’est à dire l’existence d’une organisation, d’une infrastructure, qu’elle soit légale ou occulte, dont l’activité a pour but principal ou accessoire la commission d’infractions à répétition.
Elle permet de saisir à titre conservatoire dès la mise en examen l’ensemble des actifs de l’entreprise et des personnes y participant ou en bénéficiant. Elle permet enfin de poursuivre les dirigeants - qu’ils soient parrain mafieux, PDG ou banquiers - pour les infractions commises par leur subordonnés même s’il ne les ont pas directement perpétrés eux-mêmes. La peine encourue est 20 ans de prison.
Autre spécificité de la loi RICO: elle peut également être utilisée pour lancer des poursuites civiles, visant à réparer des préjudices.
Son rédacteur, l’immense juriste Robert Blakey, a souligné que RICO ne vise pas qu’à combattre la mafia. “Nous ne voulons pas d’une loi pour les gens dont le col est bleu et dont le nom se termine par une voyelle (nom italien, ndlr) et d’une autre pour les cols blancs qui sont titulaires de diplômes de grandes écoles”, a t-il déclaré au Times en 1989.
Parmi les affaires fameuses ayant donné lieu à des condamnations RICO, on retrouve pêle-mêle les procès des cinq familles de la mafia new-yorkaise, la police Key West (déclarée organisation criminelle du fait du racket systématique de trafiquants de cocaïne), Michael Milken (le scandale des “junk bonds” en 1989) et les pots de vins de la FIFA dans le cadre de la sélection de la Russie et du Qatar pour l’organisation de la coupe du monde de football.
Applications possibles en France? Un excellent candidat est l’affaire Areva, dont notre excellent confrère Marc Endeweld vient (à nouveau) de révéler des pans jusqu’à présent inconnus.
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