[Republication] Jeux Oligarchiques
Il faudra un QR code pour circuler dans Paris lors des JO de 2024. La folie ne s'arrête pas là puisque le CIO n'a retenu que la candidature de la France pour les JO d'hiver de 2030.
Cet article a paru originellement en novembre 2023. Tout ce que nous avons prédit à l’époque est survenu. Puisque Emmanuel Macron, qui n’a visiblement rien d’autre à faire ou à dire, en remet une couche sur les JO d’hiver de 2030, autant republier.
Mise à jour le 24/07/2024. Souriez, c’est vous qui payez.
L’homérique catastrophe que semblent déjà être les JO de Paris va permettre certaines “expérimentations”. L’inspecteur des impôts devenu préfet de police (et avant directeur de la DGSI puis secrétaire d’Etat responsable de la répression des gilets jaunes) Laurent Nuñez annonce que pour circuler dans certaines zones de la capitale il faudra des QR codes… En dehors de tout cadre légal puisque seul le Parlement peut décider par la loi de restreindre la liberté de circulation. Bronca au Sénat, silence à l’Assemblée nationale, au sein de laquelle on se demande à quoi sert l’opposition.
Le sénateur de Haute-Savoie Loïc Hervé a fait remarquer à juste titre au préfet Nuñez lors de son audition que “il y a encore des gens qui font la loi dans ce pays, et ce n’est pas le préfet”. L’audition à suivre de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, s’annonce houleuse.
Le fétichisme technologique liberticide continue. Paris est une fête ? Non, un panoptique. Le gouvernement persiste à imposer des mesures parfaitement injustifiées et inapplicables. Ariane Bilheran a raison quand elle avance que le harcèlement est le moyen de l’arrivée et du maintien du totalitarisme. Présentation du QR code à chaque croisement, à chaque sortie de métro, à chaque arrêt de bus.
En sus des Parisiens, ce sont près de 10 millions de personnes qui quotidiennement circulent dans Paris pour des raisons professionnelles, personnelles ou touristiques. Bon courage pour leur distribuer ces Ausweis. Bon courage pour découper Paris en quatre zones et y imposer des check-points, mêmes temporaires. Combien de policiers et gendarmes nécessaires ? A moins que cela ne soit confié à des sociétés de sécurité privées qui bénéficieront de juteux marchés financés par l’ensemble des Français, y compris ceux qui n’auront pas le droit de circuler.
Le contrôle d’accès fonctionne dans les bâtiments, pas dans la rue dont la seule raison d’être est … de circuler. Totalement inefficace par exemple contre des terroristes qui n’auront pas besoin de s’approcher des zones contrôlées pour commettre un attentat meurtrier qui obtiendra l’effet escompté de semer la terreur. A moins qu’il ne s’agisse que de protéger ce qui s’annonce comme un entre-soi de “l’élite” dont l’écrasante majorité des Français sera exclue de manière géographique et censitaire (prix exorbitant des places). D’un périmètre sécurisé il faut bien tôt au tard sortir. On ne fait donc que déplacer le problème. Au lieu d’être dépouillés à l’abord des stades, les spectateurs le seront plus loin.
Nous ne vous parlerons pas du ticket de métro à 4 euros, 70 euros l’abonnement hebdomadaire. Imaginez ce que vont penser de ce racket les touristes et les voyageurs en transit français comme étrangers qui, par manque d’information, n’auront pas pu acheter leurs titres de transports à l’avance pour bénéficier des tarifs normaux.
Ce que beaucoup d’entre nous peinent à comprendre, c’est que depuis une trentaine d’années, les Jeux olympiques, une gigantesque machine à fric (sauf pour les contribuables des pays organisateurs), ne sont plus une manifestation populaire mais un événement mondain (même quand ils se déroulent en Chine ou en Russie) où se rassemble “l’ultra-classe”, ces jet-setteurs pleins aux as qui passent leur vie à parcourir la planète de raout en raout. Les JO ne sont en rien différents du Nouvel an sur son yacht à Saint Barth’, du Grand prix de Monaco, du Festival de Cannes, du Derby du Kentucky, du Tournoi de Wimbledon, du Super Bowl etc. Les JO sont un arrêt dans le circuit. Et on y fait des affaires, comme à Roland Garros, comme dans les loges VIP des clubs professionnels, quel que soit le sport. Forcément, les riches qui ne font pas partie de cette ultra-classe parce qu’ils n’en ont pas les moyens s’y agglutinent.
On a vu le budget des JO de Paris annoncé au moment de la candidature à 4,1 milliards d’euros exploser à plus de 8 – et ce n’est pas fini. Qui paie la différence ? Le contribuable, pour des retombées économiques qu’on sait aussi momentanées que négligeables. On a vu au moins trois enquêtes judiciaires déjà diligentées pour des faits d’atteinte à la probité voire de corruption dans l’organisation de ces Jeux. On sait que la RATP, dirigée par Jean Castex, n’a à 9 mois de la cérémonie d’ouverture pas la capacité de transporter le public attendu. On sait que dans une ville comme Paris, assurer la sécurité d’un tel événement qui va drainer une telle foule est mission impossible parce qu’elle n’a pas été conçue pour être Disneyland. On y vit et on y travaille avant tout. L’Etat français, incapable de maintenir l’ordre public dans une portion croissante du territoire national, en premier chef dans les banlieues d’Ile-de-France, pourra le faire deux mois durant dans la capitale ? Peut-être est-ce là l’occasion de confiner Paris jusqu’à ce que les Parisiens aient mangé tous les rats, comme lors du siège de 1870.
Que va t-il se passer dans le reste de la France ? De début juillet à mi-septembre 2024, les effectifs des forces de l’ordre y seront réduits au bénéfice d’un événement qui n’a plus rien à voir avec l’esprit olympique et dont le moteur principal, lubrifié par l’affairisme, est l’argent. Terroristes, braqueurs et cambrioleurs de tous les pays, unissez-vous ! L’été 2024, ne frappez pas à Paris ! Vous aurez toute la vaste province comme terrain de méfaits.
Il s’agit donc de ne pas s’arrêter en si bon chemin et d’en rajouter une couche dans un pays en faillite, où près de la moitié des Français vivent avec moins de 100 euros à partir du 10 du mois : organisons les Jeux Oligarchiques d’hiver en 2030. Grande première mondiale que d’obtenir les Jeux d’été et ceux d’hiver à six ans d’intervalle. La décision du Comité International Olympique (CIO) de ne retenir que la candidature française – et d’écarter celles de la Suisse et de la Suède – pour rentrer en “dialogue ciblé” (sur l’argent des Français ?) est intervenue deux semaines après la visite d’Emmanuel Macron dans la Confédération Helvétique, où il est allé intimer l’ordre à nos voisins et amis d’accélérer les négociations avec l’UE à laquelle ils ne souhaitent pas adhérer. Emmanuel Macron a-t-il bien saisi la signification du résultat des dernières élections fédérales, remportées par l’UDC, parti pas vraiment connu pour être un fan inconditionnel de Bruxelles ?
En arrière-plan, il y a une autre considération bassement politique : la candidature de David Lappartient (ancien patron de la Fédération française de cyclisme et aujourd’hui président Les Républicains du conseil départemental du Morbihan) à la présidence du CIO. David Lappartient, oui, celui qui s’était fendu d’une lettre indignée et menaçante suite à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements - violences sexuelles, corruption, racisme, sexisme etc. - dans les fédérations sportives grassement subventionnées par la manne publique.
Le CIO, vous savez cette organisation quasi-mafieuse (merci feu Juan Antonio Samaranch et feu Dédé “la sardine”) à laquelle les Américains feront un jour ou l’autre le même sort qu’à cette autre organisation quasi-mafieuse qu’est la FIFA. Politique, sport et très gros sous : que pourrait-il donc arriver de mal ? Tût ! Tût ! Tût ! Ne faîtes pas de mauvais esprit ! Prenez l’attribution au Qatar de la coupe du monde de football : ex-em-plaire !
Outre de politiciens qui persistent à croire que le bon peuple est friand de jeux du cirque – pas faux, mais plus de ceux là – l’organisation des JO d’hiver en 2030 dénote de la volonté de préserver un modèle économique datant du XXe siècle et mort depuis vingt ans : celui de la neige comme tourisme de masse. Quand on se penche sur la question, on se rend compte que, contrairement aux stations suisses, italiennes et autrichiennes, les stations françaises n’ont que peu vécu du tourisme mais de l’immobilier, du bétonnage – et de la corruption et du blanchissement d’argent qui vont avec.
Ta ! Ta ! Ta ! Pas de mauvais esprit ! Ces jeux seront innovants, durables et inclusifs, affirme Emmanuel Macron. Les trois adjectifs inséparables de sa doxa, qui ne saurait souffrir aucune contestation.
Dans les années 1990 – tenez, pile au moment de l’organisation des JO d’Albertville – existait ce qu’on appelait le triangle d’or du blanchissement d’argent par voie d’immobilier : les régions du grand Nice, du grand Montpellier et du grand Grenoble (comprendre le Dauphiné-Savoie), où ce secteur ne souffrit pas de la pire crise depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qui alors le frappait.
En France, on bâtit des remontées mécaniques pour justifier la construction effrénée d’immobilier de tourisme, non pas pour exploiter raisonnablement et durablement la ressource qu’est la montagne et y maintenir population et activités économiques. Illustration ? Notre longue enquête sur la reprise de la station des Deux Alpes par la Sata, société d’économie mixte dans laquelle L’Alpe d’Huez est majoritaire. L’octroi de cette concession a déjà attiré l’attention de la justice. Et la déconfiture financière s’annonce. Pas grave, le contribuable paiera. Encore.
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On pousse même le vice jusqu’à vouloir imposer dans la métropole de Grenoble, capitale des Alpes, un téléphérique à 100 millions d’euros qui “part de nulle part pour arriver nulle part” (l’auteur de la formule se reconnaitra) et n’aura quasiment pas de passagers, afin de justifier le bétonnage de terres agricoles jusque dans des zones inondables donc inconstructibles. Perversion du principe de planification urbaine qui veut qu’on conçoive l’habitat en fonction des déplacements : on créé une infrastructure de transport inutile pour justifier les constructions. Oui mais c’est innovant, durable et inclusif, on vous dit !
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Retour aux JO d’hiver de 2030. Certaines grandes manœuvres ont déjà commencé, comme le rachat de la participation de la Sofival (Avoriaz, La Rosière, Valmorel) de 5,59% dans La Compagnie des Alpes (CDA, le n°1 mondial des remontées mécaniques, filiale de la Caisse des dépôts) par Savoie Stations Ingénierie Touristique (SSIT) dont l’actionnaire majoritaire à 71% est le Conseil départemental de Savoie, présidé par Hervé Gaymard.
SSIT, que Le Dauphiné Libéré présente dans un lapsus révélateur d’un certain mélange des genres comme une filiale du département de la Savoie (une collectivité territoriale, personne morale publique, ne peut avoir de “filiale”), c’est cette société d’économie mixte (SEM) présidée par Hervé Gaymard, également président du Conseil départemental de Savoie, active non seulement dans la gestion de remontées mécaniques, dans l’aménagement et dans la développement touristique, mais aussi dans la promotion immobilière et la location touristique. Tangent en matière de droit européen, administratif et de la concurrence. SSIT s’est fait un devoir, L’Eclaireur vous l’a déjà relaté, de reprendre les stations de ski en difficultés, comme Albiez ou Saint-Pierre-en-Chartreuse, pour… les enfoncer un peu plus.
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Les 5,59% du capital de la Compagnie des Alpes ont été promptement transférés dans une autre société d’économie mixte créée en octobre 2010 : Alpes du Nord Aménagement Touristique (ANAT), au tour de table de laquelle on trouve SSIT, le Conseil régional Auvergne Rhône-Alpes et trois banques “régionales”, le Crédit Agricole de Savoie, la Banque populaire Auvergne-Rhône-Alpes et la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes. L’intégralité du rapport présenté en commission du Conseil Régional peut être téléchargé ici.
C’est qu’il en faut des infrastructures pour acheminer le skieur vers les stations des Alpes. L’universitaire Eric Adamkiewicz, spécialiste du sport, souligne : “Attribuer les JO d'hiver à la France va désormais demander de clarifier les délires sur la faisabilité technique et dans des temps réalistes des réseaux ferroviaires des deux régions et sur les aspects environnementaux mis en avant. Et aussi compter l'ensemble des budgets publics hors JO mais annoncés pour différents territoires (50 millions au Grand Bornand par le CD 74, 50 millions à Isola 2000 par la Métropole de Nice…).”
L’Etat va-t-il enfin financer le Lyon-Turin (dont la fonction prévue dépasse le ferroutage et la ligne à grande vitesse puisqu’il est un tronçon critique de la transversale Lisbonne - Kiev. Plus facile de transporter troupes, chars, équipement, armes et munitions par le rail que par la route, les airs ou la mer) ? L’électrification des voies ferrées du sillon alpin, une arlésienne depuis trente ans, va-t-elle devenir réalité ? Ou bien ne s’agit-il que de faire financer par le contribuable remontées mécaniques et canons à neige pour que les promoteurs et les banques continuent de se goinfrer, pour que de riches touristes puissent encore passer leurs nuits en boîte et soigner leurs gueules de bois l’après-midi sur les terrasses de leurs chalets ou de restaurants d’altitude? Qui a encore les moyens, hors les 15% les mieux lotis, de s’offrir une semaine à la neige ?
Pratiques les JO pour faire passer tout et n’importe quoi sans l’assentiment des citoyens, pour exproprier à tout-va, pour contourner les obligations d’enquête publique et toutes ces normes et ces règlements qui empêchent de ramasser un pognon de dingue rapidement. Qui ira critiquer l’idéal olympique de nations concourant sur les champs de neige plutôt que sur les champs de bataille ? A ce compte, pourquoi n’organise-t-on pas les les JO d’été à Gaza et ceux d’hiver dans les Carpates ukrainiennes ?
Notre classe dirigeante n’est-elle qu’un conglomérat de Caligulas qui, de frénésies orgiaques dans l’entre-soi le plus complet en dépenses somptuaires avec les fonds publics, ne prend pas la mesure de l’état du pays, à commencer par celui de ses finances, que ce soit celles de l’Etat ou des collectivités ? Est-elle has-been et obsolète au point de n’avoir à proposer aux Français pour seul horizon des manifestations que ceux qui leur vouent encore quelque intérêt ne peuvent suivre qu’à la télévision que de moins en moins de regardent ? Est-elle restée bloquée dans un vortex temporel en 1984, entre Paris-Dakar, Nuit de la glisse et Nuit des publivores ?
Le sport reste peut-être la chose qui justifie l’existence de ce média de masse obsolète qu’est la télévision, droits de diffusion et retransmission en direct obligent. Le sport seul attire suffisamment de téléspectateurs pour justifier le prix de la publicité à la télévision. Télévision à la laquelle les pouvoirs sont très attachés puisqu’elle leur permet de paraître et de discourir de manière unilatérale, sans interaction ou contradiction du public. C’est vrai pour les politiques, c’est vrai pour les annonceurs qui sont encore assez fous pour croire que la publicité y est efficace. C’est un système politico-économique de création du consentement datant des années 1950 qui n’en finit de pas de mourir: il suffit d’observer l’inexorable chute des audiences.
“Seule une catastrophe, un énorme couac, pourrait désormais l’empêcher (la France, ndlr) d’accueillir cette olympiade” écrit Le Parisien. Une crise économique et financière pire que celle de 1929 et 2007 réunies, une révolution, une guerre civile, ça va comme catastrophe ou énorme couac ?